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13 mai 2014 2 13 /05 /mai /2014 16:59

       Dans la nouvelle qui donne son nom « Trop de bonheur » au dernier recueil de la canadienne Alice Munro, prix Nobel de littérature 2013, l’auteure va à la rencontre des derniers jours supposés de la mathématicienne et femme de lettres Sofia Kovalevskaïa.


alice-murno.jpg                                                                                         l'auteure

 

 

 

 

      Ce récit, d’une cinquantaine de pages, permet de nombreux allers retours sur des épisodes précédents de sa vie.

 

        La très belle écriture d’Alice Munro évoque, au travers de la vie de son héroïne, les femmes russes, les mathématiques, la commune de Paris, la place des femmes dans le monde scientifique du XIX° siècle, le regard des hommes … et des femmes sur cette mathématicienne devenue célèbre, donc atypique, hors du commun.

 

Sofia-Kovalevskaïa-203x300

                                                                                                 l'héroine

 

       Un concentré romanesque et bouleversant de la destinée d’une femme libre, qui s’ouvre par une citation de Sofia Kovalevskaïa :


 

« Bien des gens qui n’ont pas étudié  les mathématiques les confondent  avec l’arithmétique et  les considèrent comme une science austère et aride.  Alors qu’en fait, c’est une science qui  requiert beaucoup d’imagination. »

 

 

       Dans son dernier long voyage qui la ramène de Nice vers Stockholm, elle fait une halte à Berlin, chez Weierstrass et ses sœurs, qui sont devenus sa nouvelle famille, en quelque sorte. C’est l’occasion d’une évocation particulièrement émouvante de ses relations avec le grand mathématicien qui fut son mentor, qui l’a introduite dans les milieux scientifiques, et lui a permis de pouvoir vivre, même mal, de sa passion mathématique, en la recommandant à Gösta Mittag-Leffler.

 

« Il s’intéressait plus à son œuvre qu’à son nom, quand tant d’entre eux –ses collègues- prenaient également soin des deux », pense Sofia, sous la plume d’Alice.

 

 

12ils.jpg
                                                                                                           Karl Weierstrass

 

Lorsque le maître et l’élève, devenue sa collègue, se quittent en cet hiver 1891, ils savent qu’ils ne se reverront plus. Weierstrass aurait du être le premier à disparaître, mais il survivra 6 ans à Sofia, qui décède, à la fin de cette nouvelle, le 10 février, d’une pneumonie.

 

 

« Trop de bonheur » seraient les derniers mots qu’elle aurait murmurés.

 

Trop de bonheur ? Parce qu’enfin elle était reconnue après le prix Bordin et les honneurs qui en découlaient ? Parce que peut-être elle avait enfin rencontré celui qui allait lui offrir un peu de stabilité tout en lui permettant de vivre librement sa vie de mathématicienne et de romancière ?


Pour finir quelques passages qui vous expliqueront mon coup de cœur :

 

Un livre lu par hasard à douze ans : « Elle n’avait jamais entendu parler de sinus et de cosinus mais en substituant la corde d’un arc au sinus, sa chance voulant que pour les petits angles les deux coïncident presque, elle fut capable de déchiffrer ce langage nouveau et délectable. Elle n’en avait pas été très surprise sur le moment, mais extrêmement heureuse. »

 


« Les mathématiques étaient un don de la nature, comme les aurores boréales. Elles n’étaient mêlées à rien d’autre en ce monde, mémoires, prix, collègues et diplômes. »


A propos d’une femme rencontrée dans le train : « C’est terrible pense Sofia. Le sort des femmes est terrible. Et que dirait cette femme si Sofia lui parlait des nouvelles luttes, du combat des femmes pour le droit de vote et l’accès aux universités ? Elle risquerait de répondre que telle n’est pas la volonté de Dieu. »


A Paris lors de la remise de son prix : « Puis on lui avait remis le prix Bordin, on lui avait baisé la main et offert des allocutions et des bouquets dans des salons d’une élégance somptueuse, brillamment illuminés. Mais on lui avait fermé la porte au nez quand il s’était agi de lui donner un emploi. On n’y songeait pas plus qu’à engager un chimpanzé savant. »


Mais il est question aussi du travail de mathématicien-ne, de mathématiques (un peu), de littérature,… à mettre entre toutes les mains, à goûter avec délices, et déguster aussi au passage toutes les autres nouvelles, aussi âpres, aussi bouleversantes, mais dont on ne peut se détacher.

 

trop-de-bonheur-Alice-Munro-197x300.jpg 

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La phrase ....à méditer

Les premières notions de mathématiques doivent faire partie de l'éducation de l'enfance. Les chiffres, les lignes stimulent plus qu'on ne le croit leur imagination naissante et c'est un moyen sûr de l'exercer sans l'aigrir. Condorcet